Régulièrement, évènements comme conversations viennent nous le rappeler : non, décidément, la sexualité ne fait pas bon ménage avec Dieu ! Lorsque les médias se font l’écho des prises de paroles du Pape, c’est souvent pour stigmatiser ses interdits sur le port du préservatif ou sur les relations préconjugales. A l’assemblée nationale, c’est la Bible à la main qu’une députée s’est affrontée à la loi sur le Pacs ! N’est-ce pas parce qu’un film de Scorsese laissait sous-entendre des relations intimes entre Jésus et Marie-Madeleine que des courants de l’Eglise se sont violemment manifestés contre sa projection ? Les religieux eux-mêmes ne font-ils pas vœu de chasteté, laissant sous-entendre la contradiction qu’il pourrait y avoir entre une recherche de Dieu et une vie sexuelle épanouie ? Certains anciens avaient-ils alors raison lorsqu’ils prétendaient que le péché originel se transmettait par l’acte sexuel ?
Une création sexuée
Pourtant, quelle erreur ! Alors pour combattre ce sentiment massif, revenons à un argument de poids : relisons les premiers chapitres de la Genèse. C’est d’ailleurs ainsi que répond Jésus au chapitre 19, verset 1 de l’évangile de Matthieu, lorsqu’on l’interroge sur la répudiation d’une épouse et sur la chasteté : « n’avez-vous pas lu ? ». Les textes qui ont été placés au seuil de nos deux testaments racontent en effet une autre histoire. Dieu lui-même façonne le corps de l’homme. L’homme n’est pas un amas de chair, sa peau, ses sens ne sont pas des oripeaux. Ils sont le signe de la création voulue par Dieu. De plus, le créateur choisit lui-même de façonner l’humanité à son image en nous créant homme et femme. Le début de la Bible dit de l’homme une vérité profonde : la différenciation sexuelle est voulue par Dieu lui-même, elle est bonne. Plus encore, l’énigme de la relation homme et femme est un des aspects par laquelle la créature ressemble à Dieu. Parce que Dieu est tout entier relation, il nous crée ainsi. Difficile donc de dire n’importe quoi sur la sexualité ou de partir en criant au scandale !
Cette identité sexuée de l’être humain posée, que disent ces textes sur notre vie sexuelle ? Ils affirment que la finalité de la sexualité est bien d’abord la rencontre de l’homme et de la femme, appelés ainsi à s’humaniser l’un l’autre. En rejetant la polygamie, le récit de la Genèse souligne qu’homme et femme sont égaux dans cette relation de différence. Puis le texte, en insistant sur la fidélité et la fécondité créatrice, fait de l’amour conjugal l’image la plus adéquate de notre rapport à Dieu. Comme en un écho final, le livre de l’Apocalypse évoquera, lui aussi, pour parler du ciel, un festin de noces. Mieux encore, cet amour est la mesure de notre rapport aux autres, au reste du monde. Ce qui se joue fondamentalement dans la rencontre charnelle, c’est ce qui se joue dans toute rencontre sérieuse. Les mésaventures d’Abraham en Egypte et à Gérar le rappelleront (Gn 12 et 20). Chaque fois qu’il préfèrera faire passer sa femme Saraï pour sa sœur, il ne pourra véritablement rencontrer ceux qui l’accueillent et devra partir.
Un chemin d’humanité
En posant cette affirmation au commencement des Ecritures, la Bible n’est pas naïve. Elle n’ignore pas l’ambiguïté de la sexualité ni sa complicité avec la violence. Elle sait que sexualité et agressivité sont toujours mêlées et que cette agressivité est un instinct difficile à humaniser. Mais elle indique aussi cette ligne de crête où se construit et se déchiffre l’humanité, la nôtre comme celle des autres. Une conduite sexuelle perverse signe la perversion de notre rapport au monde. Ainsi chaque fois que nous réduisons l’autre à ce qu’il nous donne à désirer, chaque fois que nous le traitons comme un objet possédé, manipulé, utilisé pour assouvir un besoin, nous détruisons en lui comme en nous-mêmes la personne humaine. Mais, à l’image d’une rencontre interpersonnelle réussie, là où chacun est accueilli et reconnu dans sa réalité propre, dans son originalité, dans sa demande, l’union sexuelle devient une vraie communion en humanité.
L’enjeu du plaisir
Un des enjeux majeurs est la juste place que nous donnons au plaisir. Dans la relation sexuelle, il est si vif, si réel, que nous sommes tentés de vouloir prolonger ce bref instant de plénitude. Nous voilà parfois prêt à réduire l’autre à un objet sexuel propre à accumuler les plaisir et combler nos manques, nos absences. Mais, inversement, se méfier du plaisir, voire le refuser, revient à ne pas vouloir reconnaître cette faille qui nous construit. Chaque être humain dépend toujours d’un autre être humain qui lui offre et lui donne le plaisir. Dans la jouissance que nous prodigue l’autre, nous perdons notre maitrise. Et il n’est pas si facile que cela d’accepter de se fier à un autre, de se livrer à lui, de ne plus être maître de soi… C’est pourtant pas là que passe la rencontre de l’autre, que l’union de deux êtres ne se clôt pas dans un enfermement. C’est à ce prix que la vie peut se transmettre, qu’un nouveau petit d’homme sera engendré. La vie ne se transmet véritablement que dans ce qui nous dépasse.
Le manque et la naissance
La sexualité désigne donc le lieu de notre fragilité. Passer de la conquête à l’accueil, de la mainmise au don demande beaucoup de vigilance et de patience. Grandir en humanité requiert d’habiter la contradiction propre à tout désir, entre plénitude et manque. Cette unité avec nous-même et avec l’autre que la relation sexuelle fait expérimenter sera toujours une expérience ponctuelle, momentanée, alors même que nous désirons du plus profond de nous cette unité. Nous ne serons jamais comblés et c’est ce qui nous maintient ouvert à l’autre, au point de pouvoir lui donner naissance.