Deuxième partie. Sauvés par le Christ, les époux sont appelés à grandir dans l’amour, malgré leurs faiblesses, et à être témoins de la fidélité indéfectible de Dieu. Une expérience qui les emmène plus loin qu’ils ne pouvaient l’imaginer et qui est source d’une joie profonde. Ce n’est pas malgré leur affectivité et leur sexualité qu’ils sont appelés à devenir saints, mais à travers elle.
S’aimer, comme le Christ et l’Église s’aiment
L’Église est-elle folle d’appeler les époux à la chasteté ?
Il n’y a qu’un amour, c’est Dieu. En se coupant de lui, lors du péché des origines, l’homme et la femme ont tout de suite connu une rupture de communion entre eux. Reste que demeure en chacun une aspiration profonde à un amour infini…
S’aimer, comme le Christ et l’Église s’aiment
Faut-il désespérer ou se résoudre à penser que la communion est impossible ? Eh bien, non ! Le Christ est venu sur terre pour restaurer le dessein originel d’amour de Dieu pour l’humanité, mais aussi pour le couple. Et lorsqu’il restaure son plan, Dieu l’amène à une plus grande perfection… car Dieu fait toujours du neuf ! Le salut est une création nouvelle. Voilà la bonne nouvelle de l’Évangile.
En donnant sa vie sur la croix, par amour pour l’humanité, le Christ l’a sauvée du péché et l’a réconciliée avec Dieu. La communion est de nouveau possible. L’amour du Christ est de plus profondément nuptial : il a véritablement épousé l’humanité. Il a redonné ses « lettres de noblesse » au mariage et en a fait un sacrement, une source où les hommes peuvent puiser l’amour infini de Dieu.
Ainsi, par la grâce du sacrement de mariage pleinement accueillie, les époux redeviennent capables d’être « icônes de la Trinité », image de la communion divine. Ne ferait-il que cela, le mariage serait déjà un sacrement immense, mais il fait davantage.
Les époux catholiques sont appelés à être l’image des épousailles du Christ et de l’Église : c’est-à-dire à vivre un amour d’offrande, de renoncement à soi qui va régulièrement jusqu’au sacrifice de soi. Un amour qui conduit à aimer l’autre comme son propre corps dans un don total, définitif et mutuel. Une expérience qui, si elle est régulièrement décapante, est source d’une joie et d’une paix profondes, indicibles. Le cœur et le corps humains sont faits pour expérimenter la joie du don en vérité. Chacun a pu expérimenter qu’au contraire un amour intéressé, partiel ou temporaire, blesse le cœur et fait souffrir.
C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne seront qu’une seule chair. Ce mystère est grand, je déclare qu’il concerne le Christ et l’Église.
Éphésiens 5, 31-32
L’Église est-elle folle d’appeler les époux à la chasteté ?
Concrètement, comment les époux peuvent-ils mettre en œuvre la grâce de leur sacrement de mariage ? Pour aimer comme le Christ-Époux aime l’Église-Épouse, les époux ont, par amour pour leur conjoint, à « crucifier » en eux la concupiscence induite par le péché, c’est-à-dire la volonté d’utiliser l’autre pour satisfaire ses besoins, ses envies, ses intérêts… Sans crainte de ne pas y arriver, car Dieu ne demande jamais l’impossible et donne sa force jour après jour.
Le remède à la concupiscence ? La vertu de chasteté ! Un mot poussiéreux, une notion méconnue… pourtant indispensable à tout chrétien, particulièrement aux époux. Car la chasteté n’est pas, comme beaucoup le croient, l’absence de relations sexuelles ! Elle désigne le juste exercice de la capacité d’aimer, de la sexualité. Cette dernière n’est d’ailleurs pas la seule génitalité : mais la manière féminine ou masculine de vivre la relation aux autres. La chasteté est cette délicatesse du cœur qui recherche à privilégier le don et la rencontre de l’autre. Elle est le fruit de la maîtrise de soi, de ses instincts et de ses passions. Elle refuse l’égoïsme, vraie menace pour l’amour.
Par exemple, avoir une attitude chaste peut aussi bien se traduire par le fait de différer un désir d’union sexuelle, par égard pour son conjoint qui n’est pas « sur la même longueur d’onde »… Qu’au contraire, par une attitude d’accueil et de joie envers ses manifestations de tendresse.
La chasteté décentre de soi et permet la compréhension de l’autre, la bienveillance, la patience… « La tendresse naît de la compréhension de l’état d’âme d’autrui et tend à lui communiquer combien on est proche de lui » écrit Jean-Paul II dans Amour et Responsabilité. Elle est indispensable pour que s’installent entre les époux une communication plus riche et une plus grande harmonie.
Si la chasteté conjugale (et la chasteté en général) se manifeste d’abord comme la capacité à résister à la convoitise de la chair, par la suite, elle se révèle graduellement comme capacité particulière de percevoir, d’aimer et de réaliser les significations du langage du corps.
Jean-Paul II
Cette délicatesse de cœur, cette maîtrise de soi ne se vit pas forcément du jour au lendemain, de même que l’on n’arrive pas à vivre la charité d’un seul coup. Il faut du temps pour comprendre l’autre si différent, identifier ses propres craintes et ses besoins, accepter les hauts et les bas du désir, pardonner ce qui agace ou fait mal. L’exercice d’un amour chaste est un long mais passionnant chemin qui se gravit aussi en s’appuyant sur la miséricorde de Dieu.
Car les époux ne sont pas seuls ! Dieu se donne aux époux le jour de leur mariage, lors de leur « oui » échangé solennellement en sa présence. Tout au long de leur vie, il se donnera aussi chaque fois que ce « oui » sera renouvelé : dans un pardon donné, un service rendu, un renoncement à soi et dans l’union de leur corps en vérité, où se réalise pleinement leur engagement mutuel.
Les époux ne sont pas appelés à devenir saints en faisant fi de leur affectivité et de leur sexualité, ou malgré elles. C’est par elles qu’il leur est demandé d’être des saints et de faire progresser l’ensemble de l’Église en sainteté : en témoignant, d’une manière concrète, qu’avec la grâce de Dieu, l’amour est possible, la fidélité est possible, le pardon est possible et qu’ils sont signes de l’amour, de la fidélité et du pardon de Dieu[1].
De quels moyens un couple dispose-t-il pour répondre à cet appel ?
Yves Semen : Des sacrements ! L’eucharistie est fondamentale pour la vie de couple. La communion est, en effet, l’école parfaite du don de soi ; et l’adoration permet la mutation de notre regard en le plongeant dans celui du Christ.
Il faut également user et même abuser du sacrement de réconciliation. Qu’on ne nous le distribue pas chichement et qu’on ne lésine pas avec la miséricorde ! Sinon, les couples finissent par culpabiliser et se décourager. À chaque rechute, il faut repartir. Prendre une résolution pour une semaine, pour un mois… Et si l’on retombe à nouveau, recommencer encore et encore avec la grâce de Dieu et la certitude que Dieu ne peut pas nous demander quelque chose d’impossible[2].
Les époux, prophètes du corps
« Comme don du Saint-Esprit, la piété n’est pas le fait de dire des prières, d’être pieux (…). Le don de piété nous fait […] admettre que nous ne sommes pas maîtres de la vie, mais que la vie est œuvre de Dieu, qu’il est source de toute vie […]. Jean-Paul II (invite les époux à se) mettre dans la mouvance de ce don de l’Esprit saint, […car] tout acte conjugal fait des époux des ministres, des serviteurs du don de la vie. Cela rehausse encore la dignité et la grandeur de l’acte conjugal.
C’est aussi dans la lumière du don de piété que nous pouvons réaliser ce que signifie la responsabilité de la maternité et de la paternité : nous décider sous la motion de l’Esprit Saint pour le don de la vie, choisir de donner la vie de manière pleinement lucide et responsable […].
C’est ainsi que les époux chrétiens sont appelés à […] être les “prophètes du langage du corps”, mus intérieurement par le don de piété […] lorsqu’ils participent au plan d’amour éternel. C’est là l’éminente mission apostolique du témoignage des époux chrétiens que d’être des prophètes de la signification nuptiale, conjugale de leurs corps offerts, donnés tous les jours et promis avec certitude à la Résurrection[3]. »