Cet énoncé, qui ressemble à une épreuve du bac de philo, surgit au détour d’une pièce de théâtre du pape philosophe qu’a été Jean-Paul II. Nous avons besoin de la petitesse du corps pour vivre un grand amour.
« Pour vos pensées, pour votre amour, cherchez refuge dans vos corps. Tant qu’ils existent. » En lisant cette ligne dans la pièce de théâtre écrite par Karol Wojtyla, La Boutique de l’orfèvre, j’ai été saisie par son originalité, sa poésie et sa dramaturgie. Étonnante en effet, cette idée que le corps puisse être un refuge, pour penser et pour aimer. On situerait plutôt le refuge de la pensée et de l’amour dans l’esprit, dans l’intelligence, la mémoire, l’imagination, bref dans l’immatériel. On peut même dire que, parfois ou souvent, le corps est un frein, voire un obstacle ou un piège, pour la pensée et pour l’amour. Et bien non, en tout cas, pas pour les chrétiens. Jean-Paul II invite au contraire à penser et aimer dans le corps. Le mot « refuge » suggère même d’abriter, de protéger la pensée et l’amour dans le corps.
Dieu lui-même a choisi le corps
Cela pose deux grandes questions qui sont liées : de quoi l’amour et la pensée sont-ils menacés, s’ils se situent hors du corps ? Pour quelle raison et comment le corps est-il capable de les protéger ? Ces questions profondément humaines amènent à se demander à quel point le Christ résume en lui et résout le drame humain. En résumé, pourquoi l’incarnation ?
Dieu, lui-même, a cherché refuge dans un corps mortel. Dieu lui-même a considéré que prendre un corps était le meilleur moyen de nous montrer son amour et sa pensée (de salut). Le corps était le seul moyen pour Dieu de nous dire qu’Il nous aimait jusqu’à l’ignoble mort. Ainsi, la pensée humaine, l’amour humain ne trouvent leur salut que s’ils s’incarnent dans le corps. Que s’ils affrontent l’expérience du corps et de la mort, à la manière du Christ.
Limite à la toute-puissance
Et pourtant, dans cette magnifique pièce de théâtre sur l’amour humain, le nom de Dieu n’est jamais prononcé. Comme s’Il était caché dans l’amour humain, dans le corps, et qu’il était de la responsabilité humaine et de sa liberté de le découvrir, ou non.
Pour le Père jésuite Alain Mattheeuws « l’histoire de tout amour est une histoire de salut ». La grande menace qui plane sur un amour ou une pensée hors du corps est peut-être de cesser de percevoir le drame humain : le besoin de l’homme d’être sauvé.
Le corps, en posant la limite absolue qu’est la mort, nous ouvre à Dieu. Il nous protège de la toute-puissance. « La vertu qui fait que l’on est aimé est l’humilité» écrit saint Antonin, compagnon de Fra Angelico, au XVe siècle. Le corps nous fait vivre la fragilité et rappelle à notre esprit que la pensée et l’amour les plus grands sont ceux qui restent humbles. Le corps est cet humble refuge dont notre amour et notre pensée ont besoin.