« Je me suis mariée pensant que je connaitrais le vrai bonheur. Ma solitude de jeune fille allait enfin se terminer. Avec mon mari, un jeune homme charmant pendant nos fiançailles, j’étais convaincue de réaliser le plus merveilleux couple du monde. J’étais persuadée que nous partagerions tout : nos aspirations, nos pensées, nos projets, notre foi. Je ne vais pas dire que je suis tombée de haut, mais quand même, j’ai été vraiment déçue. Il importe de dire aux jeunes que le mariage n’est pas le paradis. Je n’y ai pas trouvé ce dont j’avais rêvé. »

J’ai tenu à citer cet extrait un peu long des propos d’une épouse car il dépeint assez bien une réaction fréquente de l’un ou l’autre conjoint après quelques mois ou quelques années de mariage. Mais je dois dire, pour être objectif, que parfois j’ai pu entendre des paroles plus réconfortantes : « Je me suis mariée croyant que c’était bien, mais c’est tellement mieux ! » ou « Je me suis mariée les yeux fermés et je ne le regrette pas… ! ».

 

Le mariage parfait n’existe pas

Pourtant, il faut bien se rendre à l’évidence : le mariage parfait n’existe pas. Sans être d’accord avec le proverbe qui dit que « Tous les maris contents tiendraient sur les bords d’une assiette », ou que « l’alcôve tue lentement », il faut bien reconnaître que l’amour humain est toujours quelque peu décevant : il est un promesse non tenue (Paul Claudel).

Le cœur humain ne dit jamais : « Assez ! ». L’amour promet la fusion, mais les conjoints restent deux, avec le mur de leurs différences. Il promet partage, le dialogue, mais il ya le poids du quotidien. Il promet la disponibilité totale de l’autre, mais l’autre est un être libre qui appartient d’abord à lui-même. Il promet la connaissance de l’être aimé, mais l’autre reste un mystère, dont l’intériorité appartient à Dieu. Il promet le bonheur : il y a la maladie, la chute du désir. Il dit « toujours » mais il y a, au dessus du couple, l’épée de Damoclès de la mort. L’autre déçoit inévitablement quelque peu : « Il n’y a pas de bois sans nœud, il n’y a pas de femme sans défaut » dit un proverbe espagnol ; et il est possible d’ajouter « Il n’y a pas de mari parfait, pas même celui de la voisine ».

Les raisons de cette insatisfaction sont multiples : le perfectionnisme qui met la barre très (trop ?) haut, le mythe de la complétude qui pense que l’autre va satisfaire tous nos besoins, le mythe de la fusion où le couple rêve d’une union merveilleuse et sans conflit, comme le fut la relation à la mère dans la toute petite enfance, l’idéalisation des amoureux éblouis par la découverte de l’amour…

En fait, la part considérable de l’imaginaire dans les projets conjugaux explique les désillusions de la vie de couple. Même si le couple se dit réaliste et lucide, il a toujours la secrète espérance de réaliser un couple pas comme les autres, uni envers et contre tout pour relever le défi de l’usure du temps.

 

Devenir adulte, c’est gérer l’imparfait

Pour gérer cette inévitable insatisfaction, il faut d’abord cesser de s’en étonner. L’imperfection fait partie de la condition humaine. C’est vrai en tout domaine et l’amour n’échappe pas à cette finitude de l’être humain. S’accepter limité, et accepter les limites de l’autre, c’est quitter les rêves de l’adolescence. Devenir adulte, c’est gérer l’imparfait. Comprendre que la vraie perfection, la vraie grandeur, consiste justement à vivre la grisaille du quotidien : le départ au travail, le frigo à remplir, la maison à ranger. « On construit un couple avec ses travers, ses manies, ses reniflements, l’envers et l’endroit du tissu, le joli et le vilain, le propre et le sale » (J Marroncle).

Il importe ensuite de fuir certaines tentations, comme rêver d’un ailleurs où l’herbe serait plus verte, ou faire des comparaisons (« Ah, si j’avais un mari comme le tien, je ferais de la catéchèse »), ou occulter tout le positif de le merveilleux de sa vie, ou même tout simplement se résigner.

Surtout, il est capital de donner un sens à cette imperfection pour en percevoir le positif et l’utilité. Elle peut devenir le moteur de la vie, en obligeant à avancer, à s’améliorer. Elle arrache à la monotonie : « S’il était parfait, je m’ennuierais ! » disait une épouse.

Acceptée, elle permet de rencontrer l’autre tel qu’il est, et non un irréel prince charmant, sachant que ce qu’il est « vaut pourtant le détour ».

 

Un cœur insatiable

Il reste que l’autre ne pourra jamais satisfaire ce tourment de l’absolu, ce tourment de Dieu qui est au fond de tous les cœurs : « Ce qu’aucune femme n’était capable fournir, pourquoi me l’avoir demandé ? » demande l’héroïne du Soulier de satin à celui qu’elle aime.

A trop demander à l’amour, on est inévitablement déçu. Il faut se résoudre à l’évidence : notre conjoint n’est pas le Christ et ne peut avoir la prétention de combler cette soif d’infini. Pourtant, l’amour humain avec ses vicissitudes, ses aléas et ses faiblesses, mais aussi avec son enchantement et ses richesses, est exactement ce qu’il faut à l’être humain pour buriner et façonner ce cœur insatiable parce que destiné un jour à la rencontre avec l’amour absolu.

 

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