Pour que les relations entre un couple et les parents des conjoints se passent bien, il faut d’abord avoir pris son indépendance, être devenu adulte. Fort de son expérience d’accompagnateur de couples et de familles, le Frère Emmanuel, moine bénédictin, explique ce processus.
Du côté de l’enfant, il est impossible d’accéder à la maturité s’il idéalise les adultes toute sa vie. Lorsqu’un garçon de 10 ans se fait corriger par son père, il se forge une identité. L’adulte, qui sait ce qui est bon, lui apparaît comme omniscient et omnipotent. L’enfant voudra s’identifier à lui, va progresser vers ce but.
Vers 25 ans survient une première crise qui, si elle n’est pas réglée, se retrouvera dans le conflit beaux-parents/enfants. Elle se situe au moment où le jeune adulte devient autonome et peut regarder en arrière. « Qu’est-ce que j’ai construit depuis mon adolescence ? Une situation professionnelle, un mariage ? Est-ce tout ? etc. »
Par ce retour, il reconnaît ses limites et réalise que l’adulte omniscient et omnipotent n’existe pas. Si cette prise de conscience n’a pas lieu, il se culpabilisera toujours de ne pas atteindre l’idéal et sera incapable de s’engager, de grandir.
L’adulte peut regarder son père et sa mère dans les yeux, d’égal à égal et non pas « d’omniscient et omnipotent » à « petit incapable ». Quand on peut dire à son père : « Tu es faible, tu es fragile, tu t’es parfois trompé parce que tu m’as fait du mal. Mais tu es mon père. Je tiens mon existence de toi. Par ta fragilité, tu me donnes le droit d’être fragile à mon tour ».
En comprenant que ses parents sont faibles et fragiles, l’enfant s’autorise à accéder à l’âge adulte. Ce pas est pédagogique et purificateur. Il libère. On n’est pas obligé de le dire à ses parents, mais c’est important de l’avoir présent au cœur et à l’esprit.
Il faut un recul suffisant pour mettre une distance qui interdit la fusion parents/enfants. Je pense à un mari qui disait en parlant de sa femme : « On ne peut pas parler de ses parents. Pour elle, ils sont parfaits ». Elle était incapable de voir la réalité de ses parents, car il n’y avait pas eu cette étape de différenciation.
En quoi les parents ont-ils leur part de responsabilité dans les difficiles relations couple /beaux-parents ?
Dans la relation parents/beaux-parents, il peut y avoir une confusion dans l’amour. Il y a deux grandes catégories d’amour : l’amour conjugal et l’amour parental.
L’un des problèmes vient de la confusion entre ces deux amours. Bien que les parents sachent que l’enfant doit grandir, ils ont envie de le garder près d’eux. La douleur, le manque qu’ils ressentent au moment du départ de leur enfant est normal. Mais « sentir » n’est pas « consentir » à cet état de mauvaise dépendance, de non-différenciation. Cette volonté de garder l’enfant n’est en général pas voulue consciemment. Mais elle ressort par des mots assassins du type : « Tiens, tu me téléphones aujourd’hui ? » ; « maintenant, il faut que je me débrouille tout seul… »
Que les parents donnent au moins la permission de partir ! Qu’ils disent comme Dieu à Abraham : « pars ! » Ils ont à faire le deuil de leur enfant et peut-être à passer par les différentes étapes de révolte, d’abattement, d’indifférence, d’acceptation pour parvenir à une relation juste. Il est normal de vivre ce passage, pas de le faire subir à son enfant. Vivre et croître implique des désaccords et des deuils.
Celui qui ne peut plus faire un pas devient morbide. Le départ des étudiants ou des jeunes professionnels est un moment critique dans lequel enfants et parents sont parties prenantes.
Cette étape critique ne contient rien de négatif. En se culpabilisant de ce qui normal, on gâcherait de l’énergie, on se battrait contre des moulins à vent. Je dis aux parents : « Ne vous figez pas, avancez au large, prenez votre élan pour aller plus loin ! »
Quels conseils donneriez-vous pour que le couple ait de bonnes relations avec ses beaux-parents ?
Une fois les enfants partis, les parents doivent les respecter, avoir confiance en eux ; une conversion est nécessaire pour cela.
Le vide est là, mais on ne supprime bien que ce que l’on remplace. Ne peuvent-ils en faire un renouvellement de leur alliance avec la vie, avec l’amour, avec leur conjoint ? C’est l’occasion de retrouver les raisons de leur propre histoire d’amour, de même que Dieu a demandé à son peuple de le re-choisir à chaque fois qu’il était à la croisée des chemins.
Mon enfant, mon conjoint ne compenseront jamais mes manques. Dieu seul me permet de rester debout en mettant des étais. S’il comblait mes brèches, cela tuerait le désir et celui-ci est le moteur de l’amour. Dieu me veut comme lui (cf. le psaume « Vous êtes des dieux »), dans l’humilité et non dans la toute-puissance. Si nous croyons qu’il est notre Père, nous pouvons le regarder. Il ne retient pas jalousement ses privilèges. Il veut m’y faire participer. De même, normalement, un père et une mère désirent que leur enfant devienne adulte et autonome et non pas sous leur dépendance.
Du côté des enfants, se séparer ne signifie pas renoncer à vivre les uns près des autres. Pourtant, je connais des couples qui ont décidé de ne plus voir leurs parents pendant cinq ans ou de ne pas les inviter au baptême de leur enfant, comme pour s’en protéger. C’est sûrement excessif, des alternatives existent entre le tout et le rien.
Comment la famille continue-t-elle à rester en lien après cette séparation ?
Les parents sont ré-adoptés en tant que parents, dans une relation d’adulte à adulte. Parents et enfants se retrouvent à un autre niveau. Ce qui devient impossible si on ne se voit plus.
La relation nouvelle est à construire comme un échafaudage qui monte des deux côtés à la fois grâce à des ouvriers placés de part et d’autre. Si l’un n’apporte pas sa pierre, l’édifice sera bancal.
Pour les parents, cette relation nouvelle sera d’autant mieux venue qu’ils auront retrouvé en eux-mêmes et dans leur couple les raisons de vivre et de s’aimer. Combien de parents se retrouvent démunis parce qu’ils ont eu des enfants tout de suite après le mariage et n’ont jamais pris soin de leur couple !
Connaissez-vous une belle-mère parfaite ?
La Vierge Marie, d’une certaine manière, s’est retrouvée belle-mère ! Sur la croix, Jésus la confie à Jean. Elle se retrouve dans un nouveau foyer, un peu comme si l’Église entière était sa belle-fille. La communauté l’a séparée de son fils.
Après cela, l’Évangile ne nous rapporte plus une seule parole de Marie. Comme « belle-mère », Marie n’intervient pas dans le foyer, elle respecte ce qui se fait, elle n’influence pas. Elle est un regard, une présence, une prière.
Retrouvez notre article « Le couple et les parents : une alliance à construire » dans le n° 1817 de Famille Chrétienne.