Par madame Marie-Noëlle Thabut décembre 2001
Deux remarques préalables
Le projet de Dieu = bonheur de l’homme : Jr 29,11 ; Ep 1, 9-10 ; c’est la grande découverte de l’Ancien Testament
La pédagogie de Dieu : cette découverte s’est faite très progressivement : Dt 8, 5
En particulier le projet de Dieu sur le couple humain n’a pas été compris, découvert que peu à peu. Ex : Gn 2, 18-24 a été placé en tête mais il reflète une longue méditation.
Mais comme toujours, la Révélation de Dieu est à l’œuvre dans la Bible. La Bible apporte sa note particulière : l’amour humain y est présenté avec une profondeur inégalée, car il est l’image de l’amour de Dieu ; « Dieu crée l’homme à son image, à l’image de Dieu il les créa ; homme et femme il les créa. » (Gn 1, 27). Et le couple humain donne à voir un avant-goût de ce que sera à la fin des temps l’union de Dieu lui-même avec l’humanité. On ne peut rêver d’un langage plus optimiste et valorisant sur la sexualité !
Le cantique des cantiques est lu dans la nuit pascale juive.
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L’amour du couple donne des mots pour parler de l’alliance avec Dieu
- dans un premier temps, l’Alliance avec Dieu a été décrite comme une alliance politique entre deux chefs de tribus, comme une alliance entre un suzerain et son vassal ;
- avec Osée, un nouveau vocabulaire pour l’Alliance : celui des fiançailles. Os 2, 16. 17c. 18-19. 21-22 le premier dans toute l’histoire biblique à deviner que la grande aventure que Dieu propose à l’humanité ressemble à des fiançailles !
La trouvaille d’Osée, c’est d’avoir comparé les difficultés de l’Alliance à celles de son propre mariage. La merveille du livre de ce prophète, c’est qu’il n’en est pas resté à ressasser son malheur… Il a compris que son histoire pouvait être lue comme une parabole et que son existence tout entière était prophétique : car son malheur conjugal pouvait être considéré comme la transposition des relations entre Dieu et son peuple : finalement, toutes les infidélités, les idolâtries du peuple de Dieu ne ressemblent-elles pas à des adultères ? Du coup, son expérience douloureuse lui a inspiré les mots justes pour parler de Dieu.
Et parce qu’Osée aimait vraiment Gomer, il a été capable de deviner jusqu’où va la pensée de Dieu : au-delà de la douleur et des menaces, il a su dire le pardon, la proposition sans cesse renouvelée de recommencer à zéro, la fidélité indéfectible de Dieu. Osée lui-même, parce qu’il aimait son épouse, ne s’est pas lassé d’elle, quels que soient ses torts ; à plus forte raison, il sait que Dieu ne se lasse pas de son peuple.
Il suffirait d’un rien pour que tout redevienne comme avant : « Mon cœur est bouleversé en moi, en même temps ma pitié s’est émue. Je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère, et je ne reviendrai pas détruire Ephraïm ; car je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis saint. » (Osée 11, 8-9). Nouvelle travaille d’Osée ici, c’est la première fois que, dans la Bible, le mot « saint » est synonyme d’amour.
Et voilà l’un des plus beaux passages du livre : pour inviter l’infidèle à la conversion, au refus des idoles, le prophète (au nom de Dieu, bien sûr), parle de retrouvailles, de retour à l’élan du début, celui des fiançailles. « Eh bien, c’est moi qui vais la séduire, je la conduirai au désert et je ne parlerai à son cœur. Et de là-bas, je lui rendrai ses vignobles et je ferai de la vallée de Akor une porte d’espérance, et là elle répondra comme au temps de sa jeunesse, au jour où elle monta du pays d’Egypte. » (Osée 2, 16-17)
Puis vient la promesse répétée trois fois (pas étonnant si c’est Dieu qui parle !) : « Je te fiancerai à moi pour toujours, je te fiancerai à moi par la justice et le droit, l’amour et la tendresse. Je te fiancerai à moi par la fidélité et tu connaîtras le Seigneur. » (Osée 2, 21-22). « Je te fiancerai à moi », dit Dieu, voilà une phrase à retenir ! Pour une demande en mariage, c’est une demande en mariage ! Et, comme dans le droit de l’époque, le fiancé promettait une dot, il en promet une formidable : « je t’apporterai la justice et le droit, l’amour et la tendresse… je t’apporterai la fidélité », toutes choses qui ne peuvent être données que par Dieu, car en hébreu, la formule littérale, ce n’est pas « Tu seras ma fiancée », mais « Je te fiancerai à moi ». Quand à la finale « Et tu connaîtras le Seigneur », on sait que le mot « connaitre » ici a deux sens, celui de l’union conjugale et celui de la reconnaissance.
Un pas est donc franchi pour la première fois avec Osée dans la conception de l’Alliance : celle-ci n’est plus seulement un contrat, fait d’engagement et de fidélité mutuelle, comme tout contrat ; elle devient un véritable lien d’amour ; c’est beaucoup plus beau, mais c’est beaucoup plus grave : L’infidélité à l’Alliance, et en particulier chaque acte d’idolâtrie n’est plus simplement un manquement à un contrat ; c’est un véritable adultère !
Depuis le prophète Osée, le peuple élu a bien retenu la leçon ; et c’est pour cela que le Cantique des Cantiques, qui n’est autre qu’un poème d’amour, est lu par les Juifs du monde entier pendant la célébration de la Pâque, la grande fête de l’Alliance avec Dieu. Dernière étape, Dieu attend que l’humanité tout entière, et non seulement Israël, reconnaisse son Dieu et, mieux encore, ose croire qu’il l’aime d’amour.
Is 62,5 : « De l’enthousiasme du fiancé pour sa promise, ton Dieu sera enthousiasmé pour toi. » Jr 2, 1-2 ; Ct 2,14. 16a ; (Ct 4 « Que tu es belle, ma compagne ! Que tu es belle !) ; Ct 8,6 – 7a ;
Is 5,7 : « Je te chanterai pour mon ami le chant du bien-aimé à sa vigne » (déception amoureuse). Cela commence comme une chanson de vendanges ; et ce thème de la vigne, ô combien précieuse en Israël, avait été repris, au sens figuré, bien sûr, dans un chant de noces ; Isaïe, lui, le réutilise à un troisième niveau comme image de l’Alliance avec Dieu.
Le prophète Isaïe a donc peut-être bien repris quelques phrases dune mélodie connue pour amorcer son propos. Mais ses auditeurs ne s’y tromperont pas, il ne s’agit pas d’une simple chanson de vendanges ! Ce qu’il leur propose, c’est une véritable parabole : « La vigne du Seigneur de l’univers, c’est la maison d’Israël. Le plan qu’il chérissait, ce sont les hommes de Juda ». quant aux fruits, Isaïe est tout aussi clair : le bon raisin attendu, c’est le droit et la justice ; le mauvais raisin, c’est ce qu’il appelle « l’iniquité, et les cris de détresse ».
Que fait le vigneron mal récompensé de ses efforts ? Il finit par admettre que la terre est trop mauvaise il abandonne l’entreprise. Le beau carré bien ordonnancé sera vite redevenu un terrain vague où il poussera des épines et des ronces, comme dit Isaïe. Un plus loin, il reprend la même expression : « Il adviendra, en ce jour-là, que tout lieu où il y avait mille ceps de vigne, valant mille pièces d’argent, deviendra épines et ronces. On y viendra avec des flèches et un arc, car tout le pays deviendra épines et ronces ». (Isaïe 7, 23-24)… Si bien qu’on ne peut pas s’empêcher de penser aux épines et aux chardons qui envahissent le sol après la faute d’Adam (Gn 3,18).
C’est toujours la même leçon : dès qu’on s’éloigne de la fidélité aux commandements, on fait fausse route et le peuple créé poru que tous ses membres soient heureux et libres, devient le règne de tous les égoïsmes et de tous les vices ; et cela se termine toujours mal. Tout comme un beau carré de vigne laissé à l’abandon devient la proie des bêtes sauvages.
Le même Isaïe, plus tard, quand il faudra remonter le moral des troupes, reprendra son chant de la vigne avec d’autres couplets : « Ce jour-là chantez la vigne délicieuse. Moi, le Seigneur, j’en suis le gardien, à des intervalles réguliers je l’arrose. De peur qu’on y fasse irruption, je la garde nuit et jour. Je ne suis plus en colère… » (Is 27, 2-4a).
(Notre chance à nous, 2500 ans plus tard, c’est de savoir que Dieu n’est jamais en colère !)
Le mot d’adultère est donc couramment employé pour l’idolâtrie.
Voir aussi Is 50, 1 ; Is 54, 6-7 ; Ez 23 et Jr 3, 6-11 : développement de la même allégorie, Israël l’Apostasie / Juda la Perfide.
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En retour l’expérience de la fidélité de Dieu invite à une plus grande exigence pour le couple
Israël fait l’expérience de la fidélité de Dieu = d’où conséquences sur la vision du couple : être le peuple digne de l’Alliance = être fidèle dans les alliances humaines
Toute alliance entre des individus entraine des droits et des devoirs. La notion de fidélité (engagement dans la durée) est très importante ; les relations entre particuliers sont l’image et le test de notre relation à Dieu : être infidèle à un engagement pris envers autrui, c’est être infidèle à Dieu, c’est oublier l’alliance ; ex Si 28,7 : « Souviens-toi de l’alliance du très-Haut et passe par-dessus l’offense » (bien en situation dans la vie de couple !) Am 1,9 : « garder mémoire de l’alliance entre frères ».
le mariage est voulu par Dieu ; les croyants fondent leur union dans la prière : Tobie 8
l’adultère est sévèrement interdit et puni ex : 20, 14 « Tu ne commettras pas d’adultère » (=Dt 5, 18//Lv 18,20 : motif d’impureté religieuse)
la répudiation existe, la loi n’interdit pas mais réglemente Dt 24,1 ; Dt 22, 13-19 ; Dt 22, 28-29 ; Dt 24, 3-4 ; Jr 3,1 ;
peu à peu, les exigences s’approfondissent : Ml 2,15 : « Que personne ne soit traître envers la femme de sa jeunesse » (480-460 av JC) // Pr 5, 15-19 ; Qo 9,9 ; // Mt 5, 31-32 // Mt 19, 1-9 ;
Dans le Nouveau Testament : Colossiens 3, 12-21
Frères, puisque vous avez été choisis par Dieu, que vous êtes ses fidèles et ses bien-aimés, revêtez votre cœur de tendresse et de bonté, d’humilité, de douceur, de patience. Supportez-vous mutuellement et pardonnez si vous avez des reproches à vous faire. Agissez comme le Seigneur : il vous a pardonné, faites de même. Par-dessus tout cela, qu’il y ait l’amour : c’est lui qui fait l’unité dans la perfection. Et que, dans vos cœurs, règne la paix du Christ à laquelle vous avez été appelés pour former en lui un seul corps. Vivez dans l’action de grâce. Que la parole du Christ habite en vous dans toute sa richesse ; instruisez-vous et reprenez-vous les uns les autres avec une vraie sagesse ; par des psaumes, des hymnes et de libres louanges, chantez à Dieu, dans vos cœurs, votre reconnaissance. Et tout ce que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus Christ, en offrant par lui votre action de grâce à Dieu le Père. Vous les femmes, soyez femme, ne soyez pas désagréables avec elle. Vous les enfants, en toutes choses écoutez vos parents ; dans le Seigneur, c’est cela qui est beau. Et vous les parents, n’exaspérez pas vos enfants ; vous risqueriez de les décourager.
Si, dans sa lettre aux chrétiens de Colosses, saint Paul fait des recommandations de patience et de pardon… c’est bien qu’il en fait ! Nous en savons quelque chose...
Ce passage est très significatif de la façon dont Paul regarde la vie et des conseils qu’il donne aux premiers chrétiens. Parcouru superficiellement, ce texte parait purement et simplement comme une leçon de morale sur la vie en société et son application à la vie de famille. Vu ainsi, le message de Paul se présenterait comme un idéal un peu trop beau et pratiquement inaccessible.
« revêtez vos cœurs de tendresse et de bonté, agissez comme le Seigneur, que la paix soit dans vos cœurs, vivez dans l’action de grâce… » En un mot : vivez au Paradis ! Or chacun sais que nous vivons sur la terre ! Et c’est précisément ce dont saint Paul est convaincu. J’en trouve la meilleure preuve dans un mot qui se trouve à la troisième ligne du texte : « Supportez-vous les uns les autres ». « Supportez-vous » ! Voilà selon saint Paul le fin mot de l’amour ! On ne peut pas dire que ce ne soit pas concret et que cela n’entre pas dans l’expérience de chacun d’entre nous. La vie en société, la vie familiale sont faites de ces mille détails de la vie quotidienne où l’autre nous étonne, nous agace ou nous agresse, où nos proches nous dérangent, nous font mal… et nous sommes tentés de dire : c’est insupportable !
Mais il y a plus : « Supportez-vous les uns les autres ». Dans le vocabulaire de Paul, il faut probablement l’entendre autrement : un regard réaliste sur l’humanité nous fait bien découvrir que toutes les vies, toutes les destinées s’appuient les unes sur les autres. Souvent saint Paul et saint Pierre comparent les communautés des hommes à une construction de pierres vivantes qui doivent leur solidité à leur cohésion. Se ‘supporter’ ne veut donc pas seulement dire accepter en soupirant les inévitables défauts des uns et des autres, mais beaucoup plus positivement, « compter les uns sur les autres » pour tenir dans la vie ! « Supportez-vous mutuellement », ce n’est pas un conseil fataliste du genre « c’est comme ça » !, quelque chose comme : « Faites contre mauvaise fortune bon cœur ». au contraire, c’est le programme constructif par excellence : « construisez-vous, construisez le monde en vous appuyant les uns sur les autres ».
Tous ces conseils de vie pratique, Saint Paul les donne en s’appuyant sur la déclaration qu’il a faite au début du texte : « Vous êtes les enfant de Dieu, ses saints et ses bien aimés ».Les destinataires de sa lettre, il les appelle « saints » puisqu’ils sont fils de Dieu. Cela ne veut pas dire qu’ils sont parfaits ; c’est leur relation à Dieu qui leur vaut ce qualificatif, et qui leur inspire aussi tout l’amour dont ils sont capables. Si bien que nos familles, qui sont quand même le lieu où se déploie le plus d’amour, peuvent toutes être appelés « saintes » familles, quelles que soient les limites que nous leur connaissons ! Pour Paul, le fondement de la morale, le secret de nos vies, c’est l’exemple du Christ : « Agissez comme le Seigneur… faites tout au nom du Seigneur Jésus. »
Le mariage comme lieu de sanctification : 1 Co 7,14 : « le mari non croyant est sanctifié par sa femme et la femme non croyante est sanctifiée par son mari. » voir aussi 1 Pi 3, 1-7
« Vous les femmes, soyez soumise à votre mari : dans le Seigneur, c’est ce qui convient. » Il arrive que certaines femmes en entendant ce texte réagissent à cette phrase. Mais je crois que nous aurions tort de nous en agacer : la soumission au sens biblique n’a rien à voir avec de l’esclavage ! On retrouve là le thème biblique habituel de l’obéissance : le croyant n’a aucun mal à mettre son oreille sous la parole de Dieu (c’est le sens du verbe : « obéir-obaudire ») parce qu’il sait que Dieu est Amour. Dans une société fondée sur la responsabilité du père de famille, ce qui était le cas au temps de Paul, c’est lui (le père de famille) qui, de droit et de fait a le dernier mot ; mais pour Paul, il va de soi que le père de famille chrétien est, dans toutes ses paroles, inspiré uniquement par l’amour et le souci des siens ; du coup la femme n’a aucune raison de se rebiffer devant des paroles qui ne sont que tendresse et respect ; et d’ailleurs, Paul prend bien soin de rappeler aux hommes que leur parole doit être inspirée uniquement par l’amour : « Et vous, les hommes, aimez votre femme, ne soyez pas désagréable avec elle. »
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Le projet de Dieu sur le couple : lecture de Genèse 1 et 2 ; Ep 5, 21-32 ;
L’amour humain, image, témoin, prophète de Dieu, le couple en tant que tel est image de Dieu / interdiction du culte des images
Gn 1, 26-28. 31a =
- un couple hétérosexuel (l’homosexualité est très sévèrement réprouvée et réprimée (Sodome et Gomorrhe ; ce qui prouve qu’elle existe). Y compris dans le Nouveau Testament : l’apôtre Paul est très clair cf. Rm 1, 26-27
- image et ressemblance de Dieu
- fécondité (dans la Bible, c’est le premier souci : parler de couple sans parler d’enfants est impossible ; d’où la souffrance de la stérilité, et aussi origine de la polygamie + loi du lévirat prouve bien que la procréation est première = importance du peuple / individu). Cf. souhait de mariage adressé à Rébecca « Notre sœur, ô toi, deviens des milliers des myriades » (Gn 24,60)
- image de Dieu = maîtrise de la création par le couple hétérosexuel
Gn 2, 18-24 « Au commencement, lorsque le Seigneur Dieu fit le ciel et la terre » : cette formule au passé risque de nous tromper ; et c’est peut-être la seule difficulté de ce texte, le piège dans lequel il ne faut pas tomber. Le piège serait de croire que nous sommes en face d’un film pris sur le vif.
Bien évidemment, cette façon de lire ne résiste pas à la réflexion ; d’abord, nous ne sommes plus assez naïfs pour croire qu’un journaliste assistait à l’œuvre de Dieu au premier jour ; d’autre part, nous sentons qu’il y a quelque chose d’indécent à imaginer Dieu s’y reprenant à plusieurs fois avant de réussir sa création ; enfin, nous savons bien que la première condition pour une bonne lecture consiste à savoir distinguer les genres littéraires ; par hypothèse un roman n’est pas une histoire vraie, tandis qu’un reportage se doit d’être le film exact de la réalité ; et quand nous lisons une fable de La Fontaine, nous ne la lisons pas au premier degré. Quand la commission biblique pontificale nous recommande de ne pas faire de fondamentalisme dans nos lectures bibliques, c’est exactement de cela qu’il s’agit.
Nous sommes ici, dans les premiers chapitres de la Genèse, en face d’un écrit qu’on appelle de sagesse, c'est-à-dire non pas d’histoire mais de réflexion : l’auteur n’est pas un scientifique, c’est un croyant : il ne prétend pas nous dire le quand et le comment ; il dit le sens de la Création, le projet de Dieu et la place de l’homme. Le mot employé en hébreu, ici, pour dire « homme » est Adam ; c’est un nom générique, surtout pas un prénom = un autre contresens à ne pas faire.
L’auteur, ici, raconte une histoire comme Jésus racontait des paraboles.
En particulier, l’histoire ou la parabole qui nous occupe ici cherche à bien situer la relation conjugale dans le plan de Dieu. Comme toute histoire, comme aussi les paraboles de Jésus, cette histoire de notre théologien du 10eme siècle emploie des images : le jardin, le sommeil, la côte ; sous ces images se devine un message, ce message tient en quatre points.
- Premièrement, la femme fait partie de la création dès l’origine ; et surtout elle est un cadeau de Dieu : sans elle l’homme ne peut pas être heureux et l’humanité ne serait pas complète.
- Deuxième message : le projet de Dieu, c’est le bonheur de l’homme ; l’expression « il n’est pas bon que l’homme soit seul » signifie que Dieu recherche le bonheur de l’homme.
- Troisième message : c’est une affirmation très importante et très novatrice de la Bible : la sexualité est une chose belle et bonne, puisqu’elle fait partie du projet de Dieu ; elle est une donnée très importante du bonheur de l’homme et de la femme : « L’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un ».
Non seulement l’exercice de la sexualité pour la reproduction de l’espèce ; mais dans toute la vie sociale, nous avons besoin les uns les autres ; il nous faut bâtir nos sociétés en nous appuyant sur nos diversités hommes / femmes comme des richesses, des complémentarités.
- Quatrième message : l’idéal proposé au couple humain n’est pas la domination de l’un sur l’autre, mais l’égalité dans le dialogue : et qui dit « dialogue » dit à la fois distance et intimité ; ici le jeu de mots du texte hébreu, que malheureusement nos traductions ne peuvent pas reproduire, est très intéressant ; en hébreu, homme se dit « îsh » et femme se dit « îshshah » ; deux mots très proches, de la même famille et pour autant pas identiques ; les animaux comme l’homme sont modelés à partir de la poussière (adamah) ; la femme est tirée de l’homme : l’homme était supérieur aux animaux, il n’est pas supérieur à la femme. Le « Adam » est homme et femme.
Devant la femme, son cri est d’émotion, de reconnaissance au vrai sens du terme : il la reconnaît comme sienne ; et d’ailleurs quand Dieu dit son projet, la Bible dit « Il n’est pas bon que l’homme soit seul, je vais lui faire une aide qui lui correspondra » ce qu’on devrait traduire littéralement « comme un vis-à-vis ».
La femme n’est pas un objet qu’on peut jeter : on est « attaché » (image de la côte).
Le « dialogue » est symbolisé par l’image de la transparence :
- « Tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, sans se faire mutuellement honte. » (verset 25) = transparence ; sans voile l’un envers l’autre, même dans leur vulnérabilité, leur fragilité ; transparence et dialogue, les deux conditions d’un véritable couple, comme Dieu l’a voulu.
- Mais si l’homme reconnait que la femme est sa plus proche, il n’y est pourtant pour rien, il la reçoit de Dieu comme un cadeau : la délicatesse du texte est extraordinaire ici : « Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l’homme s’endormit », lisons-nous. Alors que Dieu agit, l’homme dort : on retrouve plusieurs fois dans la Bible cette image du sommeil, dans des moments très importants pour l’humanité ; avec Abraham, par exemple, quand Dieu fait alliance avec lui, la Bible emploie le même mot traduit par « sommeil mystérieux » et que la Bible grecque traduit par extase ; manière très humble de dire que l’action de Dieu est tellement grande, tellement solennelle, qu’elle échappe à l’homme ; il ne peut pas en être témoin.
« L’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront qu’un » : en langage moderne, on dit « les amoureux sont seuls au monde ». et c’est bien vrai ! Quand un homme et une femme sont attirés l’un envers l’autre, leur sentiment prime tout le reste et leur donne effectivement la force de larguer les amarres pour courir l’aventure de créer une nouvelle famille. = nécessité de larguer les amarres !
La fine pointe du projet de Dieu : le couple témoin de l’amour du Christ pour son Eglise : Ephésiens 5, 21-32 Frères, par respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres ; les femmes, à leur mari, comme au Seigneur Jésus ; car, pour la femme, le mari est la tête, tout comme, pour l’Eglise, le Christ est la tête, lui qui est Sauveur de son corps. Eh bien ! Si l’Eglise se soumet au Christ, qu’il en soit toujours de même pour les femmes, à l’égard de leur mari. Vous, les hommes, aimez votre femme à l’exemple du Christ : il a aimé l’Eglise, il s’est livré pour elle ; il voulait la rendre sainte en la purifiant par le bain du baptême et la Parole de Vie ; il voulait se la présenter à lui-même, cette Eglise, resplendissante, sans tâche ni ride, ni aucun défaut ; il la voulait sainte et irréprochable. C’est comme cela que le mari doit aimer sa femme : comme son propre corps. Celui qui aime sa femme s’aime soi-même. Jamais personne n’a méprisé son propre corps : au contraire, on le nourrit, on en prend bien soin. C’est ce que fait le Christ pour l’Eglise, parce que nous sommes les membres de son corps. Comme dit l’Ecriture : à cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. Ce mystère est grand : je le dis en pensant au Christ et à l’Eglise.
Cette lettre apporte une nouveauté : car le mystère de l’union entre Dieu et l’humanité se réalise, nous le savons désormais, en Jésus-Christ ; et l’union entre le Christ et l’Eglise en est non seulement l’image, mais le germe.
La nouveauté tient en deux points : premièrement, nos amours humaines si belles mais si difficiles ne peuvent se réaliser que dans l’union à Jésus-Christ ; « par respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres » ; deuxièmement, voilà donc une vocation grandiose pour le couple humain, refléter l’amour du Christ pour son Eglise, l’amour de Dieu pour l’ensemble de l’humanité.
Les conseils de Paul donne ici aux couples humaines s’inscrivent donc dans cette réflexion sur le mystère du Christ ; c’est pour cela qu’il commence par dire : « par respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres ». tout ce que le Christ a fait pour son Eglise, que l’époux le fasse pour son épouse, qu’il déploie pour elle la délicatesse dont parle l’Apocalypse : « Voici les noces de l’agneau ; son épouse s’est préparée, il lui a été donné de se vêtir d’un lin resplendissant et pur » (Ap 19, 7-8) ; qu’il soit prêt même à donner sa vie pour elle, car « Nul n’a d’amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime » (Jn 15, 13). C’est l’exemple que le Seigneur Jésus donne aux époux.
Réciproquement, que la femme ne craigne pas de se soumettre à un tel débordement de tendresse.
En filigrane, on retrouve dans ces quelques lignes un des thèmes majeurs de cette lettre, comme de tout le Nouveau Testament : l’union entre le Christ et l’Eglise, prélude et germe de l’union entre Dieu et toute l’humanité se réalise dans le don de sa vie par le Christ : « il a aimé l’Eglise, il s’est livré pour elle ». La nouveauté instaurée par le Nouveau Testament et que notre lettre a sans cesse rappelée est précisément là : le Christ est le centre et le réalisateur du projet de Dieu ; tout advient par lui, avec lui et en lui, comme le dit si bien notre liturgie.
Conclusion : tout ceci n’est-il pas trop beau ?? Oui bien sûr, pour les hommes, c’est impossible ; mais nous ne sommes pas seuls : Jn 13, 35 : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaitra pour mes disciples ».