Qui ne cherche pas l’amour pour être heureux ? On veut trouver sa « moitié », comme si sa vie en dépendait pour être épanoui. Or, en 1959, seul un mariage sur 5 est revendiqué comme un mariage d’amour. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les unions sont plus fragiles mais on veut croire à l’amour avec un grand A. Serge Hefez, psychiatre et thérapeute de couple, nous éclaire sur ce paradoxe des temps modernes.

 

Qu’est-ce qui a changé pour les couples au cours des dernières décennies ?

En un siècle, les bouleversements ont été considérables. Les femmes se sont émancipées et sont devenues économiquement indépendantes de leur époux, ce qui fait voler en éclats les rôles traditionnellement établis. La sexualité a été séparée de la procréation avec les nouvelles méthodes de contraception, et cela a eu des conséquences immenses sur la vie intime des conjoints. De même, il ne faut pas oublier que le sentiment amoureux n’était pas central dans le couple jusqu’aux années 1950 et les institutions – la famille, l’Eglise – encadraient fermement l’union. Elles la soudaient presque de l’extérieur. Aux yeux du monde, on se devait donc d’aimer son conjoint car c’était sa femme ou son mari. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas d’amour à l’origine de l’histoire, comme par la suite, mais ce n’était pas revendiqué comme l’élément essentiel.

 

Aujourd’hui, les sentiments ont-ils pris toute la place dans la vie de couple ?

La logique est inversée de nos jours. On fait sa vie avec quelqu’un avant tout parce qu’on l’aime, que l’on a reconnu la « bonne » personne et l’engagement ne regarde que les deux intéressés. On choisit également d’avoir des enfants au « bon » moment, quand on le veut bien.

Tel est le fruit de la révolution individualiste qui a fait du principe du libre choix la clef de voûte de la sphère conjugale. D’un côté, on pense que plus rien n’est laissé au hasard, que l’on maitrise tout ; de l’autre, l’amour est devenu l’enjeu essentiel du couple. C’est exaltant, mais cela fragilise la relation parce que les sentiments sont nécessairement mouvants, les imprévus inévitables, et qu’il existe aussi des milliers de bonnes personnes avec lesquelles on aurait pu faire notre vie. Cela porte un coup à l’idéal romantique moderne et distille une incertitude très insécurisante. Autre conséquence : on voudrait se rechoisir tous les jours, vérifier sans cesse son engagement mais cela est émotionnellement éprouvant.

 

Est-il donc plus difficile de s’aimer et de vivre à deux à présent ?

C’est surement plus compliqué et plus exigeant. La révolution conjugale n’est pas achevée et les couples cherchent de nouveaux modèles de vie à deux. Jadis, on ne divorçait pas, on n’était pas plus heureux, mais on avait moins de question à se poser.

A présent, ça se complique dès le temps de la rencontre et je pense qu’il ne faut pas minimiser l’influence d’Internet. Même les gens qui n’ont pas recours au Web commencent à employer des expressions emblématiques du genre : « cet homme est super, il rentre dans toutes mes cases ». Ces principes d’évaluation n’aident pas à tomber amoureux et à « faire prendre » une histoire. Cette attitude consumériste vis-à-vis du partenaire se vérifie plus tard dans la vie au quotidien. On voudrait que l’autre soit au service de notre épanouissement personnel et qu’il change pour se conformer à nos attentes. C’est ce que j’observe de plus en plus souvent en consultation. Cette forme d’égocentrisme entre –heureusement ! – en contradiction avec une autre aspiration  rester amoureux longtemps. Les couples sont conscients que cela passe nécessairement par l’attention à l’autre et au duo qu’ils forment. Même s’ils peinent à mettre en pratique ce bon principe !

 

Observez-vous des attentes différentes selon les âges ?

Révolution touche toutes les générations et les profils de couples qui me consultent se sont d’ailleurs incroyablement diversifiés au fil des années. Je reçois aussi bien des tourtereaux de 25 ans, ensemble depuis six mois, qui veulent valider leur engagement comme on le faisait jadis devant monsieur le curée, que des sexagénaires qui s’interrogent encore sur la pérennité de leur union. A tout âge, on cherche à concilier des désirs contradictoires : son bien être – moi d’abord – et l’harmonie de la vie à deux – ensemble avant tout. Certes, cette quête est déstabilisante mais on désire plus que tout s’aimer très fort. Je persiste à penser que c’est très encourageant.

 

Mais comment aidez-vous les couples en recherche ?

J’essaie d’abord de leur faire prendre conscience qu’il n’existe pas de bon ou mauvais choix radical, mais que leur engagement se construit au fil du temps. Je tente ensuite de déplacer l’une de leur principale revendication : « Coteur, aidez-moi à changer mon mari/ma femme, pour que notre couple survive » en « Acceptons de changer la relation pour qu’elle nous transforme ». L’aventure conjugale réussie n’est pas 1 moi + 1 moi = 2 egos, mais 1+1=autre chose, comme une troisième entité qui travaille chacun individuellement. En admettant enfin que l’autre n’est ni parfait ni façonnable à sa mesure, on reconnaît, du même coup, qu’il a le pouvoir de nous faire changer. C’est ainsi que les couples modernes peuvent dépasser leurs attentes contradictoires et vivre heureux longtemps, ensemble.

 

Propos recueillis par Sophie Viguier-Vinson pour le magazine Pélerin n° 6632 du 7 janvier 2010

 

 

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